avec les élèves du lycée Suzanne Valadon
Herobrine
Installation ✸ 2021
Nicholas DiFonzo et Prashant Bordia définissent les légendes urbaines comme des « informations non vérifiées et instrumentalement pertinentes en circulation, surgissant dans un contexte d’ambiguïté, de danger ou de menace potentielle, qui aident les personnes à gérer des risques» (2017). En nous inspirant de l’idée de « récit-outil » qu’est le Maelström d’Aurélien Gamboni et Sandrine Teixido, nous avons choisi, avec les élèves du lycée Suzanne Valadon, la creepypasta « Herobrine » comme outil pour penser nos peurs dans les mondes numériques. Sa réécriture fait partie d’une série de tentatives amorcées de réappropriations de nos usages. Ici, le récit est « exhumé du passé pour résonner avec notre présent et nous équiper pour le futur » (Citton, Rasmi, 2021). A cet égard, le choix des légendes urbaines (et autres rumeurs) n’est pas neutre puisqu’elles accompagnent presque toujours les innovations technologiques, réactualisant le thème de la « peur de la machine ». Notre réécriture permet de quitter la binarité des discours qui entourent les techniques, pour plonger (à la manière du pécheur du récit de Poe), dans l’eau trouble, le bug, la faille… Il a fallu apprendre à décentrer puis à recentrer nos attentions sur certains risques et apprendre à cohabiter avec eux. Là où le joueur « Max Le fou » (auteur présumé de la creepypasta originale) crée un monde sur Minecraft, notre histoire commence à l’ouverture d’un nouveau compte sur Snapchat.
Annotée, commentée, réappropriée, la rumeur-outil circule. Dans notre histoire, Herobrine laisse derrière lui toutes sortes de bugs : des contraignants, des magnifiques, des absurdes, des dangereux, des pratiques… C’est notre Maelström technologique ; pas de bug de l’An 2000, net et irrévocable, mais un lent délitement aux effets contradictoires. Notre narrateur, d’instinct, évite les solutions les plus évidentes et les plus univoques, il cherche à préserver des contradictions. Il finira par trouver des compromis hybrides dans nos mondes numériques, où le quotidien est plus que jamais une affaire de négociations et d’accommodages. Il faudra sauter sur les occasions qu’offrent les bugs, ces « erreurs », voire ces « limites » qui paradoxalement, permettent la réalisation d’actions inattendues et constituent des échappatoires inouïes :
« C’est là qu’est le paradoxe : le glith bouge, mais le glitch bloque aussi. Il appelle un mouvement tout en créant un obstacle. Le glitch invite et le glitch empêche. Ainsi, le glitch devient un catalyseur, ouvrant de nouvelles voies, nous permettant de nous saisir de nouvelles directions. (…..) Ainsi, le glitch est quelque chose qui dépasse la mécanique technologique la plus littérale : il nous aide à célébrer l’échec en tant que force génératrice, comme une nouvelle façon de conquérir le monde».
(Russell, 2020)



